Le démographe et politologue Emmanuel Todd explique cette semaine dans Le Nouvel Observateur que François Hollande grâce à sa « souplesse d’esprit » et sous la pression des classes moyennes et supérieures, le candidat socialiste ne sera pas un nouveau Mitterrand.
Interrogé sur sa réaction lorsque François Hollande a affirmé « mon seul adversaire, c’est le monde de la finance », Emmanuel Todd répond :
On a commenté cette phrase comme un calcul politicien : il veut rassembler la gauche au premier tour avant de se recentrer au second. Je pense que ça va plus loin. Quand Hollande sera élu – ce qui est mon hypothèse privilégiée – se posera la question du pouvoir de la finance. Le renflouement sans contrepartie des banques a montré que l’oligarchie financière contrôlait l’Etat et la Banque centrale européenne. L’enjeu est donc la reconquête de l’Etat par le peuple. Un président de gauche devra soumettre les banques ou se soumettre.
Sur ce qu’il entend par « Soumettre les banques » il répond :
La nationalisation, par exemple, mais avec le maintien du pluralisme et de certaines banques dans le secteur privé. Par routine, les commentateurs prétendent qu’Hollande fait une campagne de gauche, comme Mitterrand en 1981, mais qu’une fois au pouvoir, il pliera à son tour devant les forces de l’argent. C’est négliger l’épuisement du système.
Hollande commencera dans la modération – son entourage est très modéré – mais il sera conduit à se radicaliser. S’il veut gouverner, ce sera un mars 1983 à l’envers. Un peu comme Roosevelt, homme de gauche très modéré au départ, avec des conceptions très vagues en économie qui, sous l’effet de la crise de 1929, a fini par prendre des mesures radicales (hausse des impôts, contrôle des banques, relance budgétaire). Pour Hollande ce sera le New Deal ou la « papandréouisation ».
Mélenchon, » je ne le sens pas porteur d’un projet efficace »
Interrogé sur un éventuel renoncement à « un protectionnisme européen » Emmanuel Todd répond :
– Non, sans protectionnisme, l’Europe se condamne au déclin. Mais il faudra une génération pour le mettre en place, en commençant par convertir l’Allemagne. Si Sarkozy avait, comme il s’en vante, du courage, il aurait mené un bras de fer contre Merkel pour obtenir une certaine dose de protectionnisme.
Car, derrière les discours officiels, le patronat allemand s’inquiète de la désintégration de l’euro, qui le priverait de son marché européen. Le tandem Sarkozy-Fillon a choisi l’option inverse : l’alignement sur la désinflation compétitive, qui assure au continent une dépression de longue durée. La question allemande sera le premier dossier de François Hollande.
F. Hollande devra-t-il menacer de sortir de l’euro lui demande la journaliste
– Oui, c’est l’arme de la France face à l’Allemagne. Il faut accepter l’Histoire qui se fait sous nos yeux. D’une part la crise a obligé les Etats à des négociations, sous la forme de G7, G20 et autres sommets européens : la concertation internationale est un acquis important – la dépression des années 1930 fut alimentée par les inimitiés entre Etats. Mais simultanément, la peur économique renforce les identités culturelles ; chaque nation redevient elle-même.
En Allemagne, la désinflation compétitive est une stratégie nationaliste. En France, le prochain président devra s’appuyer sur la valeur nationale d’égalité. Acceptons de voir la menace : l’Europe devient une fédération hiérarchisée et conflictuelle, avec une nation dominante, dure aux faibles, l’Allemagne, et une nation martyre en bas, la Grèce. La gestion de l’euro doit naviguer entre ces réalités contradictoires. Si on peut faire le protectionnisme européen, faisons-le.
Si la France est asphyxiée, sortons de l’euro. Si c’est trop compliqué, protégeons certains secteurs nationaux. Bref : soyons pragmatiques. Mais n’oublions pas que la confrontation avec l’Allemagne est la clé. A cet égard, quand Hollande dit qu’il veut renégocier le traité européen, il manifeste à nouveau un sens historique très sûr. Rien n’assure qu’il tiendra le coup. Mais Sarkozy a déjà fait le choix de la soumission. Alors, entre l’incertitude et la mort, je choisis l’incertitude.
Je ne le sens pas porteur d’un projet efficace ou même radical et je garde le souvenir de son incapacité à comprendre la menace économique chinoise. C’est du score d’Hollande au premier tour que dépendra la possibilité d’une vraie dynamique au second.
Sarkozy est-il déjà battu lui demande la journaliste ;
Non. Des forces puissantes jouent en sa faveur. La montée de la tentation inégalitaire est réelle, y compris dans les milieux populaires. Il y a aussi le poids des personnes âgées, qui le soutiennent massivement.
Pourtant, elles devraient abhorrer ce gamin mal élevé dont la politique attaque le système hospitalier et pourrait aboutir, comme aux Etats-Unis, à une baisse de l’espérance de vie. Nous sommes là face à de l’inédit : un âge médian de la population de 40 ans en France, de 44 ans en Allemagne, c’est du jamais-vu dans l’Histoire. Va-t-on vers un sénilo-fascisme ? Une chose est sûre : dans un contexte de grand risque pour les institutions démocratiques, l’heure est à un vote de gauche discipliné.
Emmanuel Todd est démographe à l’INED et est notamment auteur de : Après la démocratie (Gallimard, reparution récente en Folio).
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