L’économiste Marc Touati est revenu vendredi 7 octobre 2011 sur le « départ en retraite bien mérité, de J.C Trichet (BCE) » et sur les principales erreurs de la Banque Centrale Européenne.
Marc TOUATI « Pour son départ en retraite bien mérité, Jean-Claude Trichet aurait pu essayer de se faire pardonner en engageant une baisse du taux refi de la BCE ou au moins en laissant en entrevoir une à court terme.
Malheureusement et sans véritable surprise, le futur ex- Président de l’Institut francfortois est resté droit dans ses bottes, préférant le dogmatisme et le mépris plutôt que le pragmatisme et la conciliation.
Son héritage pourrait ainsi être résumé par la célèbre locution latine : Errare humanum est, perseverare diabolicum. Car, ce n’est pas une, ni deux, ni même trois erreurs que la BCE a réalisé au cours des huit dernières années, mais une bonne quinzaine.
L’énumération de ces dernières serait évidemment trop longue. Aussi, rappelons-nous simplement les plus « cuisantes ».
L’erreur est humaine, persévérer est diabolique…
Dès l’automne 2003, fraîchement nommé, M. Trichet refusa d’abaisser le taux refi sous les 2 %, alors que la zone euro ne parvenait pas à sortir de la léthargie et que l’Allemagne sombrait dans une récession historique. Cet assouplissement aurait pourtant été justifié par le fait que l’inflation restait largement sous les 2 %. Qu’à cela ne tienne, la croissance molle perdura jusqu’en 2006…
Mais si la BCE avait mis tant de temps à assouplir son étreinte en 2002, puis avait refusé de soutenir la croissance en 2003, elle se précipita pour augmenter ses taux directeurs dès le moindre signe d’amélioration de l’activité en 2006. Dès lors, la croissance écrêta très rapidement et ne parvint pas à rattraper le retard accumulé au cours des années précédentes.
Ces deux erreurs majeures n’étaient cependant rien par rapport à celles qui allaient suivre. Ainsi, en 2007, alors que la crise des subprimes éclatait et que la croissance eurolandaise commençait déjà à reculer, la BCE continua d’accroître ses taux directeurs.
Pis, en 2008, la BCE atteignit le sommet de l’erreur, en augmentant encore son taux refi, alors que l’UEM était en train de plonger dans sa plus grave récession.
Le taux de chômage explosa alors à la hausse mais la BCE demeura sourde aux risques sociaux. Un taux de chômage au plus haut, et alors ?
Bien sûr, lors de l’explosion de la crise financière consécutive à la faillite de Lehman Brothers, la BCE s’est enfin décidée à réagir dans le bon sens. Mais face à un tel marasme, qui n’en aurait pas fait autant ?
Pourtant, toujours fier du travail accompli, l’Institut francfortois décida de figer le taux refi à 1 %, alors que toutes les autres banques centrales du monde développé amenèrent leurs taux directeurs centraux entre 0 % et 0,5 %. L’euro s’apprécia alors fortement et le peu de reprise qui était en train de s’esquisser dans l’UEM disparut presque aussitôt.
Mais, peu importe, la BCE continua sa lutte contre la croissance et augmenta son taux refi en avril et en juillet 2011, alors que la croissance eurolandaise fléchissait dangereusement et que la crise grecque commençait à dégénérer. La BCE pour un euro fort et une croissance molle.
Ces erreurs ont notamment agi sur l’activité via un renchérissement excessif de l’euro, ce qui a participé à casser la croissance et donc à augmenter les déficits publics, puis la dette.
A l’évidence, il aurait été difficile de faire pire. Le plus triste est qu’en dépit du sacrifice permanent de la croissance économique, Jean-Claude Trichet quitte la BCE avec une inflation eurolandaise à 3 %
Autrement dit, il aura eu faux sur toute la ligne, puisqu’il aura réussi le tour de force de casser la croissance sans parvenir à limiter l’inflation. Et, pour cause : fixer un objectif d’inflation globale à 2 % n’a pas de sens économique. L’article 105 du traité de Maastricht, qui définit les statuts de la BCE, s’est d’ailleurs bien gardé de fixer un objectif chiffré.
En effet, la seule inflation sur laquelle une banque centrale peut exercer un pouvoir est l’inflation par la demande. C’est la raison principale pour laquelle, toutes les banques centrales de la planète ont un objectif d’inflation hors énergie et produits alimentaires.
Toutes, sauf bien entendu la BCE, qui est bien sûr plus forte que les autres. Résultats des courses : en s’obstinant de vouloir lutter contre une inflation que l’on ne maîtrise pas, on ne réussit qu’à affaiblir les fondamentaux économiques.
Évidemment, tous les maux de la zone euro ne sont pas dus aux seules erreurs stratégiques de la BCE. Toujours est-il que cette dernière n’a rien fait pour les limiter, mais les a, au contraire, aggravés. Les marchés boursiers ne s’y sont d’ailleurs pas trompés puisqu’ils
ont régulièrement réagi négativement aux atermoiements de la BCE et de son Président. Jean-Claude Trichet, le meilleur allié des Bearish…
Mais tout cela n’est finalement que du passé et il ne sert plus à grand-chose de tirer sur l’ambulance. La question est désormais de savoir si Mario Draghi va réussir à faire oublier les erreurs de son prédécesseur. Per favore, il signore Draghi, plus jamais ça !
Malheureusement, rien n’est moins sûr. « Super Mario », comme certains commencent déjà à le surnommer, est également un produit de l’establishment européen et a aussi été élevé à la table de l’école de Chicago et du monétarisme.
De plus, à l’instar de son prédécesseur, il risque de vouloir gagner en crédibilité en apparaissant plus « allemand » que les Allemands.
Enfin, n’oublions pas que la BCE ne fait que refléter les difficultés intrinsèques du fonctionnement de la zone euro, à savoir l’absence d’harmonisation et de coordination entre les différents pays qui la composent.
En d’autres termes et sauf heureuse surprise : la BCE ne changera pas de sitôt et la zone euro restera condamnée à la croissance molle ».
Marc Touati
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