Vendredi 6 janvier 2012 –l’économiste Marc Touati commentecomme chaque semaine et analyse l’actualité économique.
Pour la première semaine de l’année 2012 un bilan sur les prévisions 2011 s’imposait, de même qu’une évaluation des perspectives économiques pour l’année 2012.
Marc Touati » Dans un monde de plus en plus chahuté, où la volatilité est extrême et où le court-termisme a force de loi, il est devenu particulièrement difficile d’établir des prévisions économiques et financières. Pour contourner cet obstacle grandissant, de nombreux économistes et prévisionnistes préfèrent se cacher derrière le consensus, en soutenant qu’il vaut mieux avoir tort avec tout le monde que raison tout seul. Si ce comportement n’est pas nouveau, il s’est quasiment généralisé à l’ensemble de la profession depuis le début de la crise des subprimes.
Pis, à l’approche des élections présidentielles françaises, les pressions de toutes sortes et les partis pris vont définitivement prendre le dessus, si bien qu’il va devenir quasiment impossible d’obtenir de véritables analyses et prévisions indépendantes. Dans la perspective de cette triste évolution, soyez assurés que nous ne tomberons pas dans ce travers et que nous continuerons à établir nos prévisions en toute liberté et objectivité. Cela fait quinze ans que nous nous y employons, cela ne va pas changer de sitôt. En effet, le plus important n’est pas forcément d’avoir raison sur tout (cela est d’ailleurs illusoire), mais de réaliser des analyses et prévisions en toute transparence et en toute humilité.
D’ailleurs, avant de présenter nos prévisions pour l’année 2012 (ce que nous ferons dans ces mêmes colonnes dès la semaine prochaine), nous allons nous livrer à notre exercice traditionnel de bilan de nos prévisions de l’année écoulée. Comme tous les ans, il y a les tops et les flops. Mais fort heureusement, comme cela s’observe quasiment chaque année, les premiers sont largement plus nombreux que les seconds. Bien sûr, certains ne retiendront que nos erreurs, oubliant nos réussites. Cela fait partie du jeu, et en particulier en France où la réussite et la présence médiatique agacent souvent.
Pour commencer, il nous faut donc admettre nos deux grandes erreurs de 2012. D’une part, le chômage américain n’a pas baissé aussi vite que nous l’avions prévu, empêchant la Fed de remonter son taux objectif des federal funds, comme nous l’annoncions. D’autre part, le Cac 40 n’a pas atteint notre objectif de 4 500 points. L’origine principale de ces deux erreurs (en particulier de la seconde) est relative aux craintes que nous exprimions dès la fin 2010 lorsque nous commencions à présenter nos prévisions pour 2011.
A l’époque, nous évoquions que les deux principales menaces de l’année 2011 résidaient dans un resserrement hâtif du taux refi de la BCE et, ce faisant, dans une remontée intempestive de l’euro/dollar. Et c’est malheureusement ce qui s’est produit. En dépit du bon sens, la BCE a effectivement augmenté à deux reprises son taux refi et l’euro a flambé temporairement.
Un mouvement de dépréciation excessive du dollar s’est alors engagé, suscitant une remontée des cours des matières premières et notamment du pétrole, ce qui n’a pas manqué de freiner la croissance américaine et d’empêcher une nette baisse du chômage outre-Atlantique. Dans l’UEM, ces évolutions ont cassé le peu de croissance qui commençait à s’installer et ont relancé la crise de la dette publique.
A partir de ces tristes évènements, nous avons ajusté nos prévisions qui ont finalement été très proches de la réalité. Ainsi, nous avons été parmi les très rares à annoncer que la crise grecque allait dégénérer et produire un effet domino à l’échelle de l’ensemble de la zone euro. Cette prévision était d’ailleurs présente dès février 2009, dans le livre « Krach, boom et demain ? ». A chacune des énièmes « réunions de la dernière chance » des dirigeants européens, nous soulignions que rien n’était réglé et que la crise repartirait de plus belles tant que des décisions en faveur de la croissance ne seraient pas prise. Et c’est malheureusement ce qui s’est produit, encore dernièrement.
Parallèlement, nous avons été parmi les tous premiers à annoncer que la zone euro et notamment la France étaient menacées par le retour de la récession dès le quatrième trimestre 2011. Et, même si nous n’avons pas encore les chiffres exacts, nous savons que les PIB français et eurolandais ont nettement reculé fin 2011 et devraient continuer sur cette tendance début 2012.
Parmi les seuls à soutenir que l’euro-dollar
allait se déprécier sous les 1,30 avant fin 2011
De la sorte, nous étions également parmi les seuls à soutenir que l’euro/dollar allait se déprécier sous les 1,30 d’ici la fin 2011. De même, alors que la plupart des analystes conseillaient d’acheter de l’or lorsqu’il valait 1 900 dollars l’once, nous appelions à la prudence, en rappelant qu’une bulle dangereuse s’était formée sur le métal jaune à partir de la barre des 1 500 dollars.
Plus globalement, nous avons annoncé dés 2010 que la croissance mondiale avoisinerait les 3,5 % et qu’un découplage se produirait entre, d’un côté, la faiblesse des économies eurolandaises et, de l’autre, la résistance des économies américaines et du monde émergent. Corrélativement à ce mouvement, nous avons soutenu qu’un décalage se produirait entre les performances boursières des Etats-Unis et celles des pays de la zone euro.
Pour les mauvaises langues qui refusent de rappeler toutes ces bonnes prévisions et préfèrent se cantonner à notre prévision d’un Cac 40 à 4500, nous rappelons qu’à partir de l’été et du dérapage des dirigeants politiques eurolandais qui ont laissé la crise de la dette publique dégénérer, nous n’avons eu de cesse de prévenir que l’investissement boursier en Europe était devenu extrêmement dangereux et qu’une phase de baisse avec forte volatilité des marchés actions allait s’engager, ce qui s’est effectivement produit. Sans vouloir nous dédouaner, il faut reconnaître que prévoir l’incompétence des dirigeants politiques et monétaires eurolandais ne relève pas du travail de l’économiste.
C’est bien en cela que la prévision économique et financière est devenue de plus en plus difficile, dans la mesure où elle ne dépend plus seulement de l’analyse des fondamentaux économiques mais est soumise aux volontés de dirigeants politiques trop dogmatiques et très éloignés du bon sens économique.
Pour autant, la prévision reste notre devoir auquel nous ne nous soustrairons pas, quitte à attirer les critiques. Dans un monde de plus en plus opaque, il nous faut effectivement essayer de réduire les incertitudes pour tenter d’éviter les embûches, en d’autres termes prévoir pour éviter les déboires. Excellente année à toutes et à tous ».
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