L’économiste Marc Touati sur lemediascope.fr vendredi 26 juin 2015 » Grèce et Télécoms en France : pokers menteurs… » / » s’endetter n’est pas grave, c’est même plutôt sain ».
Marc Touati : Hasard ou coïncidence, les derniers jours ont été marqués par deux évènements économico-politico-financiers a priori très éloignés, mais qui finalement présentent de nombreux points communs.
Il s’agit d’une part, des énièmes négociations gréco-européennes, et d’autre part, de l’offre de rachat à 10 milliards d’euros de Bouygues Telecom par Numéricable-SFR qui a été froidement refusée par la maison mère.
Le premier point commun se rapporte aux multiples rebondissements de ces deux « affaires ». Tantôt un accord est trouvé, pour être ensuite annulé. Tantôt les propositions apparaissent non-refusables, mais elles sont finalement déclinées, sans d’ailleurs vraiment savoir pourquoi. Ainsi, depuis le début de la crise grecque, les sommets de la dernière chance et les cadeaux consentis à la Grèce par le FMI et les Européens se sont multipliés.
En vain. Et pour cause : quasiment aucune des promesses réalisées par le gouvernement grec en échange du soutien de ses créanciers n’a été tenue.
» s’endetter n’est pas grave,
c’est même plutôt sain ».
Ainsi, en dépit d’une aide totale (et non définitive !) de 350 milliards d’euros (110 milliards d’annulation de dette de la part des banques et une aide de 240 milliards du FMI et de la zone euro), la dette publique de la Grèce est toujours proche des 180 % du PIB.
C’est d’ailleurs bien là le problème : annuler tout ou partie de la dette passée, c’est une chose, mais que fait-on avec la dette à venir ?
Le plus surprenant est que les dirigeants européens n’arrivent toujours pas à comprendre (ou du moins font-ils semblant) que Tsipras n’a aucune intention de revenir réellement sur ses promesses électorales. Il se livre à un poker menteur impressionnant et ne fait que gagner du temps.
C’est également ce souci du gain de temps qui prévaut dans le chantier à rebondissements des Télécoms en France. Depuis l’arrivée de Free et la concurrence acharnée par les prix qui en a suivi, il est à peu près clair que le petit marché français ne tiendra pas éternellement avec quatre acteurs. C’est dans ce but qu’après le rachat tumultueux de SFR par Numéricable, Altice s’est souvenu que la meilleure défense est souvent l’attaque.
Autrement dit, avant que Free et/ou Orange ne dégainent, Patrick Drahi n’a pas hésité à sortir l’artillerie lourde en proposant à Bouygues de lui racheter sa filiale de Télécom pour 10 milliards d’euros. Une somme particulièrement coquette lorsque l’on sait que Bouygues Télécom vaut au maximum 6 milliards d’euros, qu’elle réalise des pertes depuis trois ans et que la capitalisation boursière de l’ensemble du groupe Bouygues est d’environ 11,5 milliards d’euros.
En dépit de son caractère très alléchant, cette offre a pourtant été refusée par le groupe de BTP aussi rapidement que brutalement. Etonnant non ?!
La raison officielle fait état d’un souci d’efficacité du nouvel ensemble et de préservation de l’emploi. S’il est vrai que l’argent ne fait pas tout (heureusement), il existe aussi une raison officieuse selon laquelle ce refus correspondrait à un souci de faire monter les enchères, tout en mettant un frein à l’appétit débordant d’Altice, qui commençait d’ailleurs à agacer le gouvernement.
Faut-il y voir une ingérence de ce dernier dans des affaires privées ? Les concernés s’en défendent, mais le doute persiste. D’où un deuxième point commun avec le cas grec, en l’occurrence, la multiplication des zones d’ombre.
Y-a-t-il des tractations secrètes entre Free, Orange et Bouygues, voire avec le gouvernement, pour freiner Altice ? Patrick Drahi n’a-t-il pas volontairement placé la barre très haute pour forcer Free ou Orange à surenchérir et mettre en danger leurs comptes d’exploitation ?
Y-a-t-il une menace (à peine voilée d’ailleurs) de la part de Tsipras de claquer la porte de la zone euro et de l’Union européenne pour se réfugier vers la Russie de Poutine en cas de refus de réduire la dette grecque ? Les Européens ne sont-ils pas en train de sauver les apparences et de supprimer une partie de cette dernière en la différant au-delà de cinquante ans ?
Les Etats-Unis n’ont-ils déjà pas imposé à l’Europe de soutenir coûte que coûte la Grèce en échange d’un soutien économique et financier ? Autant de zones d’ombre et de questions sans réponse claire qui rappellent que le politique et l’économique font rarement bon ménage.
D’où une troisième similitude, en l’occurrence le manque de courage politique. En effet, depuis une vingtaine d’années, les gouvernements français ont brillé par leur manque de vision en matière de Télécoms, préférant engranger des recettes faciles plutôt que de miser sur l’innovation et la fluidité du marché.
De même, depuis 2010, voire depuis 2001 et l’entrée de la Grèce dans la zone euro, les dirigeants européens n’ont pas osé mettre les Grecs devant leurs responsabilités, en leur imposant un choix : être dans la zone euro en respectant les règles, ou ne pas y être.
Ce manque de courage est aujourd’hui porté à son paroxysme, car tous les dirigeants européens savent que la Grèce ne pourra pas rembourser sa dette et que sa seule issue est de retrouver une croissance forte grâce à une devise normale, équivalente à 0,70 dollar pour un euro. Ce ne sera pas un drame, mais juste le retour de la drachme, qui permettra à la Grèce de rétablir son économie, avant de pouvoir revenir dans l’UEM avec les reins suffisamment solides pour supporter l’euro.
Sans ce courage et le retour de la croissance, la Grèce restera engluée dans la crise de la dette. D’où le quatrième point commun : le rôle centrale de la dette. Car, ne l’oublions pas : s’endetter n’est pas grave, c’est même plutôt sain. Mais à une condition sine qua non : que cette dette génère suffisamment de croissance et de revenus pour rembourser chaque année les intérêts de la dette.
Or, depuis 2008, à l’instar de la France d’ailleurs, la Grèce ne parvient pas à remplir cette condition. Elle s’est donc enfoncée dans une spirale de surendettement quasiment inextricable. De même, déjà très fortement endetté (plus de 31 milliards d’euros), Altice aurait-il les moyens de supporter une nouvelle dette de 10 milliards d’euros, alors que la rentabilité du nouvel ensemble n’est pas assurée ?
Ce qui nous amène à notre cinquième analogie. A savoir, l’installation d’une « fuite en avant » particulièrement dangereuse. Dans le cas des Télécoms, cela signifie que de nouvelles surenchères et restructurations (sûrement coûteuses) vont avoir lieu, alors que la téléphonie traditionnelle sera peut-être bientôt remplacée par l’internet gratuit.
Pour la Grèce, il ne faut pas se leurrer : un nouveau cadeau sera certainement consenti à la Grèce dans les prochains jours, mais la dette continuera d’augmenter et une nouvelle crise se produira dans 3 à 6 mois et ainsi de suite jusqu’à un inévitable Grexit. Le problème est que plus la « fuite en avant » est longue, plus le réveil et la guérison sont douloureux.
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