L’économiste Marc Touati « Où s’arrêtera le Qatar ? » ( vendredi 15 mars 2013).
Après toute une série d’investissements à travers le monde, le Qatar a commencé à investir massivement en France.
« A moyen terme, ces « échanges » se traduiront
par une perte d’indépendance pour les pays débiteurs »
Après de nombreux hôtels de luxe et le PSG, ses prises de participations dans des grands groupes français se développent comme les marguerites au printemps : 12 % dans Lagardère, 7 % dans Vinci, 5 % dans Veolia Environnement, 3 % dans Total et même 1 % dans LVMH.
De l’autre côté du prisme de la société, le Qatar a même obtenue l’autorisation du gouvernement français de subventionner des associations dans les cités HLM de l’Hexagone.
Pour quoi faire ? L’avenir le dira.
Mais, comme si tout ceci ne suffisait pas, la Qatar veut désormais investir près de 12 milliards d’euros au Royaume- Uni. Et ce, notamment dans la centrale nucléaire que le français EDF doit construire à Hinkley Point. Mais où s’arrêtera cette boulimie et surtout qu’elles en seront les conséquences ? Pour tenter de répondre à ces questions, il faut bien comprendre à qui nous avons à faire.
Petit émirat du golfe Persique de 11 437 km² pour 1,7 million d’habitants, le Qatar est effectivement devenu en quelques années un investisseur insatiable à travers le monde et notamment en France.
Il faut dire qu’après avoir passé leur temps à dépenser leurs mannes gazières et pétrolières dans des domaines bien peu constructifs, les dirigeants du Qatar ont compris que ces dernières n’étant pas éternelles, il fallait peut-être commencer à penser à l’après pétrole.
Et cela tombe bien puisque de plus en plus de pays occidentaux ont un besoin cruel de cash, que ce soit pour financer leur dette publique et/ou leur développement et/ou leurs entreprises, dont la valorisation a été cruellement abaissée avec la crise. En période de soldes, le Qatar fait donc ses emplettes.
Il en a largement les moyens : de 2000 à 2012, son PIB a progressé de 310 % (évidemment en volume, c’est-à-dire hors inflation), chaque année, sa balance courante affiche un excédent de 26 % à 30 % de son PIB, soit plus de 23 milliards de dollars en 2012. Avec un baril de pétrole à environ 100 dollars sur les marchés internationaux, contre un coût de production moyen d’environ 15 dollars sur place, ça aide…
De plus et surtout, le Qatar est le troisième producteur mondial de gaz naturel et le premier exportateur de gaz liquéfié.
En terme de PIB par habitant, le Qatar se hisse à la deuxième place mondiale, avec, en 2012, un niveau de 100 400 dollars, soit 5 000 dollars de moins qu’au Luxembourg et 60 000 dollars de plus qu’en France.
Mais ce n’est pas tout, puisque, grâce à ces résultats exceptionnels, le Qatar a considérablement réduit ses dépenses publiques, dont le poids dans le PIB est passé de 51 % en 1993 à 29 % en 2012 (après être passé par un plus bas de 24,8 % en 2008).
Depuis 2000, ses comptes publics ont été constamment excédentaires, affichant un excédent annuel moyen de 8,6 % du PIB (9,5 % en 2012). À l’évidence, si en France on n’a pas de pétrole mais des idées, avoir du pétrole et aussi un peu de gaz, ça aide quand même…
Enfin, couronnement logique de ces comptes publics hors pair, la dette publique du Qatar est passée de 65,5 % du PIB en 1999 à 7,4 % en 2007. Pourtant, depuis 2008, celle-ci est repartie à la hausse, pour atteindre 35 % en 2012.
Mais attention, dans la mesure où les comptes publics sont en excédent permanent, cette dette supplémentaire n’est pas le produit des déficits nationaux, mais du financement des pays et des entreprises en déficit à travers le monde.
Autrement dit, le Qatar ne se contente pas d’investir ses excédents, il s’endette pour mieux inonder la planète. Certes, pour le moment, le Qatar est encore loin de pouvoir conquérir le monde. Il ne représente après tout que 0,23 % du PIB mondial (en parités de pouvoir d’achat).
Pour autant, cette part est le triple de celle qui prévalait en 2000, à savoir 0,08 %. Mais c’est surtout en tant qu’investisseur international que le Qatar marque des points. Il gère ainsi l’un des plus grands fonds souverains de la planète, le QIA (Qatar Investment Authority), dont les avoirs avoisinent les 700 milliards de dollars.
D’où une fringale presque insatiable. Et ce d’autant qu’avec des besoins de financement énormes, les pays dits développés sont fortement demandeurs de cash. Évidemment, à court terme, tout le monde est content : les pays en recherche de liquidités (notamment pour financer leurs excès de dette) l’obtiennent et le Qatar, toujours en quête de bonnes affaires, les trouvent.
Mais à moyen terme, ces « échanges » se traduiront forcément par une perte d’indépendance pour les pays débiteurs.
Et il est clair que dans la gestion des conflits à venir (en particulier sur les délocalisations de sites de production et sur l’emploi), les Qataris seront certainement beaucoup moins conciliants que les Américains ou les Allemands ont pu l’être au cours des trente dernières années.
En conclusion, à force de conquérir des parts de marché ici ou là et de devenir un important créancier des États à forte dette et en mal de liquidités, le Qatar devient de plus en plus incontournable. En particulier en France et maintenant au Royaume-Uni, deux pays dans lesquels les dirigeants ne cessent de lui ouvrir les portes de leur économie et de leur société. Attention au revers de la médaille…
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